AFFAIRE LAGUIOLE : LA COUR DE JUSTICE TRANCHE !

L’arrêt rendu le 5 avril 2017 par la Cour de Justice de l’Union européenne consacre-t-il la fin de la véritable saga judiciaire ayant opposé le titulaire de la marque «LAGUIOLE », Monsieur Szajner, à la SARL Forges de Laguiole depuis 2005 ? C’est très probable. Explications.
Monsieur Szajner est titulaire de la marque européenne verbale « LAGUIOLE » demandée le 20 novembre 2001, et enregistrée le 17 Janvier 2005, pour désigner divers produits et services.
Au mois de juillet 2005, la société Forges de Laguiole présente une demande d’annulation partielle de cette marque fondée sur sa dénomination sociale antérieure, liée à son activité de fabrication et vente de tous article de coutellerie, cisellerie, articles cadeaux et souvenirs – tous articles liés aux arts de la table, d’après l’objet social décrit par ses statuts.
Cette demande a été rejetée le 27 novembre 2006 par la division d’annulation de l’EUIPO (ex OHMI).
Recours est formé, et le 1er juin 2011, la Chambre des recours de l’EUIPO annule partiellement la décision de la division d’annulation, sauf pour ce qui concerne les services de la classe 38, c’est-à-dire, pour faire court, les services informatiques.
L’affaire sort ensuite de l’EUIPO pour être portée devant le Tribunal de Première Instance de l’Union Européenne qui, le 21 octobre 2014, annule la décision de la division d’annulation de l’EUIPO, sur le fondement d’un arrêt de la Cour de Cassation française du 10 juillet 2012, donc postérieur à la décision dont l’annulation était poursuivie.
Et c’est enfin cet arrêt du TPI du 21 octobre 2014 qui à été soumis, sur pourvoi, à la Cour de Justice de l’Union le 22 décembre 2014, ayant donné lieu à l’arrêt du 5 avril 2017 précité, dont nous pouvons dire d’emblée qu’il est confirmatif.
L’on notera, au passage, le temps nécessaire à l’obtention d’une décision définitive portant sur la validité de la marque « LAGUIOLE » : 12 ans, ce qui n’est pas anodin, compte tenu de la solution retenue.
Il faut préciser, en effet, que pour ce qui concerne les marques européennes, les oppositions à enregistrement, puis, si la marque est enregistrée, les demandes d’annulation, sont portées devant l’office compétent pour les enregistrer, à savoir l’EUIPO, alors que quand il s’agit d’une marque française, l’INPI n’est compétent que jusqu’à l’enregistrement, et les demandes d’annulation sont portées devant le juge judiciaire, et ce sont les règles de procédure civile qui s’appliquent.
Or, la règle clé en matière d’enregistrement, et donc, pour les marques communautaires, d’annulation, est que les parties ne peuvent pas communiquer, au fil des recours, de nouvelles pièces, ce qui confirme la nature administrative plus que judiciaire de ces recours.
Le contrôle, à l’échelon supérieur, lors de chaque recours, se limite donc à un examen de la légalité de la décision attaquée, qui implique quand même de s’assurer de la conformité de la décision attaquée à l’état du droit applicable.
Mais quel état du droit faut-il prendre en considération ? L’état du droit au moment où a été rendue la décision frappée de recours, ou l’état du droit au moment ou il est statué sur le recours ?
La question n’a pas tant d’importance en cas d’évolution législative, puisque la loi n’est jamais rétroactive, de telle manière qu’elle ne régit pas les situations postérieures à son entrée en vigueur, mais en cas de revirement de jurisprudence, la question devient cruciale.
En particulier, lorsque la Chambre des recours a rendu sa décision en 2011, elle a statué au vu d’un arrêt de la Cour de Cassation française de 1996 qui posait qu’une dénomination sociale était protégée par principe pour toute les activités couvertes par son objet social, et par exception, lorsque cet objet social n’est pas précis, pour les seules activités effectivement et concrètement exercées.
Mais le 10 juillet 2012, la limitation de la protection de la dénomination sociale pour les seules activités effectivement exercées (et démontrées) devient la règle unique.
Et c’est au vu de cette dernière position, postérieure à la décision attaquée qui était donc conforme au droit au moment où elle a été rendue, que ladite décision a été réformé avec confirmation par la CJUE.
Car pour la CJUE, un revirement de jurisprudence n’est pas un simple fait juridique dont on ne pourrait faire état dans la cadre d’un recours faute de pouvoir produire de nouvelles preuves, mais une composante du droit constant qui doit être pris en compte pour apprécier la légalité d’une décision.
Reconnaissons que lorsqu’on met 16 ans pour acquérir un droit sur une marque, de revirement de jurisprudence est important.
Didier LE GOFF
www.dlegoff-avocat.fr